
"Depuis les palmiers d'Ascona sur les rives du Lac Majeur aux neiges éternelles de l'Eiger"
Swissman

"Depuis les palmiers d'Ascona sur les rives du Lac Majeur
aux neiges éternelles de l'Eiger"
21/06/2025 - officiellement le 1er jour de l'été, mais (quasi) juste officiellement^^)
Après 5 « Ironman » (2 Embrunman, en 2020 en « off » et 2021, 1 Altriman dans les Pyrénées, en 2021, et 2 Alpsman à Annecy avec les copains, en 2022 et 2024 - il y aurait aussi dû y avoir le Mont-Blanc en 2023 mais il a été annulé), j’ai pour la première fois opté pour d’autres reliefs que les Izoard, Pailhères, Semnoz et autres cols français.
Les montagnes suisses en l’occurrence, celles du Swissman, un « Ironman » de la série XTRI qui compte aussi le mythique Norseman. J’ai d’ailleurs été au petit bonheur à la chance à la pêche à un dossard dans les fjords norvégiens. Mais avec plus de 6000 prétendants aux 250 places attribuées par tirage au sort, la chance de plonger dans leurs eaux glacées était infime, et effectivement.
Je me suis alors inscrit au Swissman. Ou plutôt à son tirage au sort également, avec aussi en tout et pour tout 250 places. L’hameçon a cette fois-ci fait son effet.
L’étape suivante était de trouver (minimum) un « supporter », la condition sine qua non pour pouvoir prendre le départ. Par supporter, entendez une personne qui assurera en voiture mon assistance (ravitaillements, transport du matériel,…), mais aussi m’accompagnera à pied les 8 derniers kilomètres (et même un peu plus). Bref, avec qui je formerai un binôme.

Mon frère Rémi s’était d’abord proposé, mais le Swissman ayant lieu à une semaine du CEB de ses jumeaux, il a préféré à raison la sagesse. Au final, c’est même en trio qu’on embarque dans l’aventure, avec en équipe de support, ni plus ni moins que papa et maman. Ils m’ont spontanément proposé leur assistance. Cela ne se refusait évidemment pas ! Papa effectuera l’ascension finale avec moi.
21 juin, v’là l’été et le Swissman !
La nuit a été très courte. La veille, je me glisse au lit à 20h. Mais je ne parviens pas à fermer l’œil. Biologiquement, Morphée me dit niet – je suis un couche-tard -, et il fait très chaud dans la chambre et il n’y pas de climatisation.
Je dormirai finalement 4 heures (c’est toujours ça de pris) sous un ventilateur. Monsieur météo a promis un mercure élevé. Il semble avoir raison. J’avale mon petit déjeuner sur la terrasse. Torse poil, le thermomètre flirte déjà avec les 25 degrés. Papa se réveille à son tour (maman nous rejoindra plus tard) pour m’accompagner au départ. A 5km de l’hôtel, à Ascona dans le canton du Tessin, à 2 pas de la frontière italienne qu’on devine en prolongeant le regard sur le Lac Majeur dont la majeure partie baigne d’ailleurs en Italie.
En arrivant, on croise Adèle (Lardinois, une de mes 2 équipières au Belgian Ardennes Tri & Trail, l’autre étant Camille Etienne) qui m’attend comme promis la veille avec sa pompe (la mienne est restée au pays), pour affuter les pneumatiques. Des coups de pompe, il y en aura encore plus tard, mais d’un autre genre. Il est 3h45. Le parc à vélos ferme à 4h. Il n’y a pas encore le feu au lac. Ou bien si, quand j’apprends que le rendez-vous pour l’embarquement en bateau pour les Îles de Brissago est fixé aussi à 4h…à un bon kilomètre de là ! La distance n’était pas précisé dans un briefing sinon parfait, avec également des informations très détaillées et précieuses pour les accompagnants. Notamment les itinéraires, cartes à l’appui, qu’ils doivent emprunter en voiture, et des suggestions de lieux où assurer l’assistance facilement et en tout sécurité.

A l’embarcadère, le bateau est déjà à quai. Je croise aussi Camille, et Maxime, du club aussi et son « supporter », Nicolas, croisé à l’Alpsman l’an dernier, son pote Adrien,… Personne n’a encore enfilé la combinaison, si ce n’est le bas. Cela va cogner dès les premières rayons, cela paraît évident.
A 4h20, tout le monde embarque, sous les applaudissements nourris du public à quai. On file au large dans l’obscurité la plus profonde. Comme un air de déjà vu, avec 2 envols en bateau déjà sur la Libellule pour le milieu du lac d’Annecy à l’Alpsman. Direction les Iles de Brissago, au nombre de 2, desquelles il nous faudra revenir en sens inverse en nageant 3,8 km au beau milieu du Lac Majeur.
Isola di San Pancrazio (l’Île de Saint Pancrace) est la seule accessible au public. Elle abrite le seul jardin botanique insulaire de Suisse, avec 2000 espèces végétales du monde entier tapissant 25000 m2. C’est de celle-ci qu’on plongera.
Prévenu qu’il était interdit de s’y soulager, je prends mes précautions et mon mal en patience dans la longue file du seul WC du navire. Puis je remonte à l’étage, où je retrouve Nicolas et Arnaud, qui ont gardé ma place à une table. Il y a aussi à celle-ci un Irlandais. Il nous parle du Norseman qu’il a vaincu. La demi-heure de trajet a filé à la vitesse de l’éclair. Je suis parfaitement serein le débarquement approchant.
Coup de tonnerre

Une voix anglophone sortie des haut-parleur transperce le silence. L’annonce de ce dernier sans doute, mais non, le bateau va rebrousser chemin et nous débarquer à sa case départ. Un violent orage semble imminent. Le mot éclair revêt un tout autre sens. Deux options sont évoquées pour suppléer les 3,8km: une première course à pied, de 12km, ou une natation abrégée. La sécurité avant toute chose évidemment, mais les mines concentrées sont passées déconfits.
Même les prévisions les moins optimistes à quelques heures du grand bain n’auguraient rien de tel. Moins bon nageur, j’en voulais aussi de mes 3,8km d’or bleu. Je me demande aussi, comme bien d’autres, comment je vais m’y prendre si l’option course à pied est retenue. Non pas qu’on n’en soit pas capable. Mais quand le bateau a mis le cap sur les Iles de Brissago, nombre de « supporters » ont quitté le quai pour refermer un peu l’œil, ou/et s’en aller chercher d’autres accompagnants. C’est le cas de papa, pour revenir avec maman. Je me vois déjà comme d’autres courir à pieds nus, mes baskets étant dans la voiture, le départ du marathon étant à 182km d’Ascona. Mais soulagement, l’option natation réduite est finalement retenue.
Le bateau nous débarque pour 1300m de natation le long du rivage. Avec une consigne: « Si vous voyez des éclairs, sortez immédiatement de l’eau ». On nous achemine vers un ponton. Je suis dans les derniers à y arriver. Je papote sur le ponton avec une autre connaissance, Sophie. Je ne me pose même pas la question. Le départ sera donné quand tout le monde sera dans l’eau. Mais arrivé en bout de ponton, je constate que la tête de course est déjà bien loin. Dans l’eau en effet, pas de ligne, même fictive, de départ, on attaque directement le Swissman.

Il est 5h15, il fait encore noir. Un voilier « lumineux » devait ouvrir la natation au départ des Iles Brissago. Il a fait demi-tour aussi. Il est mon repère. Pas d’éclair, et bien sûr pas à la vitesse de l’éclair, je boucle les 1300m en 29 minutes. Forcément plus tôt que si on avait nagé 3800m, même si le départ a été décalé d’un quart d’heure. Papa et maman m’attendent déjà. Papa a reçu un sms de l’organisation l’avertissant du chamboulement du programme.
Montagnes suisses russes
C’est parti pour les 182km de vélo, pimentés de 3700m de dénivelé positif.
La première partie est très roulante. Et une fois n’est pas coutume au début du vélo, je me retrouve dans un pack, de 10, 20 ou 30 éléments selon les moments. Grâce bien sûr à cette natation charcutée qui m’aura au moins permis de moins m’éloigner. Mais aussi à mes progrès dans l’eau, depuis que je suis un entraînement avec coach, que le BATT propose à la piscine de Marche depuis janvier.
Papa et maman me dépassent une première fois, et m’adressent des encouragements en agitant le drapeau belge, comme ils le feront chaque fois qu’ils repasseront à ma hauteur pour aller m’attendre plus loin. Je les retrouve une première fois comme convenu au 50e km, à Bodio. Maman s’étonne de déjà me voir. Mon compteur affiche plus de 30km/h de moyenne, sans pour autant avoir donné un coup de pédale de trop. L’effet du groupe, et les premiers murs m’attendent eux toujours.
Le ciel est menaçant depuis l’entame du vélo (et sans doute même du premier crawl dans la pénombre). Les nuages foncés sur, et enveloppant parfois, les montagnes ne présagent rien de bon. Les premières gouttes tombent. Que sera-ce là-haut ? Heureusement, la température est très douce. Cette épaisse couche nuageuse est même une bonne chose contre le cagnard.
7km de pavés
Les premiers lacets font leur apparition. Ceux du Saint-Gothard (2107m), le Passo del San Gottardo dans la langue locale, l’italien. La première ascension d’un enchaînement de 3 cols qui culminent tous à plus de 2000m d’altitude, 18 km, et 1100m de dénivelé dont 7 derniers pavés, après déjà un quelques échantillons de gros cailloux plus tôt. Cet interminable secteur pavé est la Tremola Vecchia (la bien nommée « vieille tremblante»). Un itinéraire bis, ou plutôt l'ancienne route du Saint-Gothard, que l’on rejoint en laissant à gauche la route moderne, la Tremola Nuova.



Le décor est encore plus somptueux, et l’effort encore plus rude aussi. J’ai l’impression que la pente titre quelques degrés supplémentaires, et affiche constamment au-delà de 10 %. Alors qu’on navigue plutôt entre 7 et 9% (ce qui est déjà bien, certes), hormis quelques instantanés jusqu’à 13%. Bonheur par contre, le trafic est quasi inexistant, les véhicules empruntant la route moderne. A quelques centaines de mètres du sommet, au 95e km, je devine papa et maman à la vue d’un drapeau belge et au son d’une cloche suisse qu’ils ont ramené d’un autre séjour en Suisse. Lac, neiges éternelles, ancien hospice du Saint-Gothard désormais musée et hôtel avec stationnée devant une diligence comme celles qui escaladaient jadis la Tremola Vecchia,... la récompense est double lors de la pause de quelques minutes à 2107m. Le temps de souffler un peu, de recharger mes poches et bidons, d’enfiler une veste pour la descente, de me tirer le portrait à côté du panneau du col,… Excepté quelques grondements et éclairs à distance, et quelques gouttes, on est quitte… pour le moment.
S’ensuit une descente de 10km. Clignotant ensuite à droite, et la pense s’inverse brusquement. C’est le début du Furka Pass (2430m), le col de la Furka, 13km et 950km de grimpette. Le soleil s’invite aussi, et avec lui la chaleur. Je connais mon premier coup de très dur. Cela tombe bien, mon estomac réclame aussi un arrêt. Le prétexte est on ne peut mieux trouvé pour mettre un peu pied à terre, et même quelques mètres en contrebas de la route pour me cacher derrière des rochers.
Au revoir les selles, rebonjour la selle. Sur parfois des longues lignes droites qui usent aussi. J’atteins péniblement le sommet à du 8km/h de moyenne la montée.
Au sommet, je retrouve la team. Je me refais un peu avant d’entamer la descente. Dix kilomètres de répit une fois de plus (avec une photo à 81km/h sans faire le Fangio), avant de voir se dresser une empilement de lacets. C’est le Grimpselpass, le col du Grimsel, 6km « seulement ».

Mais avec déjà 30 bornes de cols dans les guiboles, un parcours en montagnes autant russes que suisses, et des passages à 9 ou 10%, le sommet a 2164 mètres n’est pas pour tout de suite. D’autant que me retrouve prisonnier d’un premier gros orage. Le terrain de jeu devient apocalyptique, avec des cordes comme vache qui pisse. Le terrain de jeu devient apocalyptique, avec des cordes comme vache qui pisse.
A se demander si des troupeaux jumeaux des brunes voisines ne surpeuplent pas le ciel noirs. Les grondements (ou beuglements ?) se synchronisent quasi parfaitement avec flashs. J’en sors indemne au sommet, ou pas moins entamé en tout cas. Au sommet, nouvelles retrouvailles avec la team, juste le temps d’enfiler une veste pour la descente, pas question de se refroidir, cela va déjà piquer plein vent dans les flots. Effectivement, j’ai connu mieux comme confort thermique. A en avoir la main gauche qui s’engourdit, et des difficultés de freiner de l’avant. Je commence aussi à avoir les idées moins claires. Malgré des conditions bien grelottantes qui devraient au contraire me réveiller. Je lutte contre la fatigue et redouble de vigilance dans trombes d’eau toujours. Je ferais bien de m’enfiler une bonne dose de sucre et/ou de faire pause. Mais impossible de lâcher le guidon pour se ravitailler ne fut-ce que d’une main (déjà que je n’en plus qu’une et demi, et encore) dans une descente à pic sinueuse, et au milieu parfois des voitures, et hors de question la seconde option, à moins de trouver un abri.
Je rejoins la vallée à nouveau bien réveillé, après 25km de toboggan. Il reste 15km à pédaler. Quasi autant de bornes de lignes droite sur du plat qui tombent à point avant d’entamer le marathon. J’approche au terme des 182km de vélo l’esprit libéré, sachant aussi que papa et maman seront fidèles au poste et irréprochables comme toujours. Ils sont effectivement bien en place sur le parking faisant office de transition à l’extrémité est du lac de Brienz. Pourtant, je ne mets pas la main sur le sac avec mon équipement de course à pied. On le cherche dans la voiture. Il était évidemment bien là où il devait être ainsi que me l’avait dit maman. A nouveau parfaitement lucide, vraiment ? Oui… et distrait. Une dizaine de minutes plus tard, après avoir aussi troqué ma trifonction détrempée contre une autre (sèche, mais pas pour bien longtemps), les 42km à pied, agrémentés de 2000m de dénivelé positif, peuvent commencer.

Avec pour mise en jambes un petit mur de 2km. Rien certes en comparaison à ce qui m’attend, ou nous attend, plus tard. Puis le décor amenuise parfois la longueur. Les chutes d'eau de Giessbach notamment, 14 cascades en enfilade qui se jettent dans lac. On passe même sous l’une d’elles, enjambant une passerelle suspendue. Belle surprise aussi que de retrouver une énième fois Nicolas qui me rejoint. On trotte ou marche un peu ensemble. Mais il a le pas plus léger. Je lui dis de ne pas se soucier que moi et il disparaît.
Les chutes d'eau de Giessbach notamment, 14 cascades en enfilade qui se jettent dans lac. On passe même sous l’une d’elles, enjambant une passerelle suspendue. Belle surprise aussi que de retrouver une énième fois Nicolas qui me rejoint. On trotte ou marche un peu ensemble. Mais il a le pas plus léger. Je lui dis de ne pas se soucier que moi et il disparaît.
400 habitants, 400000 touristes
A l’inverse du lac de Breinz qui m’accompagne de toute sa longueur, une quinzaine de bornes, à main droite. Je traverse notamment Iseltwald . Une bourgade de 400 âmes à peine, mais qui rien qu’en 2022, a reçu la visite de 1000 fois sa population, soit 400000 touristes. La raison? Le village est absolument remarquable avec son bâti d’une autre époque. Mais il faut la chercher ailleurs. Dans une série sud-coréenne, Crash Landing on You. L’une des scène phares a été tournée au bout de sa jetée en bois sur le lac. Le lieu est tellement courtisé qu’un portique payant a fleuri sur la jetée, pour tenter de canaliser l’afflux de fans. Une partie du village « se jette » aussi vers le lac. Sans activer la fonction plan large, j’ai l’impression de voir une île flotter.
Le ciel s’obscurcit, pire, se noircit toujours plus. Je ne sais pas ce qui m’attends. Mais je sais que cela sera tout sauf une douche avec un souci de pression. Le vent se lève aussi, sauce grosses bourrasques. Quand le chaos est KO, c’est toujours pour mieux surgir, grêlons en bonus parfois. L’apocalypse peut (re)commencer, avec une encore un quasi parfait festival sons et lumières. Le lac a perdu sa quiétude. Les remous sont de plus en plus importants, et deviennent même vagues qui viennent s’écraser contre les bords du lac et éclabousser mes pas.




Des participants s’abritent tant bien que mal, sous un arbre, contre un mur,… Certains s’osent à sortir leur téléphone pour immortaliser la scène. Je préfère laisser le mien bien au sec dans le sachet plastique qui l’enveloppe, et comme toujours poursuivre ma progression que laisser passer l’orage. D’autant qu’il ne semble à nouveau pas pressé de s’évanouir ne fut-ce qu’un bref instant.
Le premier point de rencontre proposé par l’organisation aux supporters est au 8e km, le suivant au 14e km. Quand j’ai quitté la transition, papa et maman ont mis le cap sur l’hôtel d’après-course à Interlaken, pour déposer les sacs et mon vélo en sécurité. On a convenu de se retrouver si pas au 8ekm, faute de temps pour eux, au 14e km. Ne les voyant pas au 8e, j’en déduis qu’ils m’attendront au 14e. Je m’en assure par téléphone (dans la liste de l’équipement obligatoire ), et de fait.
J’ai trouvé un bon petit rythme de croisière. Par contre, la foulée aurait pu être plus légère si j’avais été un minimum prévoyant. Les tronçons de bitume sont pour le moment largement majoritaires. Or, plutôt que de me renseigner sur le revêtement, j’ai chaussé une paire de trail plutôt que la route. Cela tape parfois comme du béton. Il y a pire certes, et au moins, je suis tranquille sur les sections plus difformes et glissantes.


Je retrouve donc la team une première fois au 14e. Puis au 18e km, à Interlaken où je filerais bien à l’hôtel, après un bon tour d’horloge déjà d’efforts, et un ciel qui continue à se déchaîner. Le lac cesse de m’accompagner pour laisser place à d’autres paysages tout aussi magiques, avec toujours des reliefs dans le cadre parfois aussi garnis de petits torrents ruisselant à contre-sens quand le chemin s’élève.
Chaque fois que je croise un bénévole, je crains qu’il m’annonce que la course est arrêtée au vu des conditions. Peu avant le 28e km, le premier des deux seuls ravitaillements du parcours, je rejoins Camille qui s’est habillé d’un sac poubelle pour se protéger tant bien que mal du froid. Elle accuse le coup. Mais connaissant sa ténacité (pour l’avoir vue malade en début d’Alpsman et terminer la course malgré tout), je ne m’inquiète pas trop pour elle. J’en suis certain, elle va se rebondir. A l’approche du ravitaillement, je me réjouis d’y retrouver la team. Mais pas de trace des parents, je les appelle. Ils m’expliquent que l’endroit est difficile d’accès pour les suiveurs, faute de place suffisante stationner. Ils ont préféré filer directement au 34e km. A Grindelwald, au pied de La Kleine Scheidegg, un col ferroviaire qui s’élève à 2061m d’altitude, et niché entre l’Eiger et le Jungfrau, 2 sommets très prisés des alpinistes et perchés à respectivement à 3967 m et 4158 m
8? Non, 9,5km d'escalade avec papa
Pendant ce temps, je m’enfile les premières rampes plus abruptes. Sur les parties plates, les jambes répondent toujours. J’atteins Grindelwald bien avant 22h. Après, c’est adieu l’arrivée. Papa est déjà en tenue de combat pour m’accompagner les 8 (du moins croit-on) derniers kilomètres titrant 1100m de dénivelé positif, soit une pente de 13% de moyenne.
La team a déjà soumis au contrôle nos 2 sacs avec chacun le matériel obligatoire pour l’ascension (pantalon, lampe frontale, couverture de survie, ravitaillements liquide et solide, veste, gants, bonnet,…), et reçu le feu vert de l’organisation.

Les pentes de La Kleine Scheiddeg s’ouvrent à nous. Comme par miracle, le ciel se dégage aussi.
Le duo père-fils à peine en chemin, maman est déjà toute petite à nos pieds. D’entrée, la pente décolle. Après 2km, on s’est déjà farci 300m de dénivelé positif, dans un couloir au beau milieu des sommets enneigés. Là-haut se cache l’arrivée.
Un hélicoptère se pose devant nous. Un secouriste de montagne en descend, muni d’un casque, de cordes,… Il est accueilli par sa famille. A-t-il secouru un participant ? On apprendra plus tard que l’hélicoptère est venu en aide à un randonner en difficulté.
Le balisage serait encore hésitant, qu’un train nous conduira sans souci à La Kleine Scheiddeg. A pied, on s’entend. Le rail du train à crémaillère reliant Grindelwald à La Kleine Scheiddeg n’est jamais bien loin. Maman devrait d’ailleurs bientôt nous dépasser à son bord, si ce n’est déjà fait, pour nous attendre sur la ligne d’arrivée. Après le mur initial, la pente a bien fléchi. Parfois même elle disparaît. Voire même s’inverse timidement. Frustrant, car le dénivelé perdu, il faudra le rattraper. Ces tronçons sont toutefois brefs et aussi répit.
Papa craignait de me ralentir. Il s’est entraîné en multipliant les randonnées, allant jusqu’à effectuer 25km de voiture jusqu’à La Roche pour escalader le col de Haussire (4km et plus de 300m de D+). Je reste le plus souvent dans son sillage, pour qu’il puisse adopter l’allure qui lui convient. Je m’étonne même parfois du rythme du jeune septuagénaire (71 ans) et jeune retraité. Je ne lui ai pas dit, mais dans les plus gros pourcentages du début, mes jambes, passablement entamées certes, réclamaient parfois de temporiser. A mi-ascension, nos montres affichent environ 3km/h depuis Grindelwald. Cela n’a peut-être l’air de rien vu de l’extérieur. Mais ce n’est pas rien. Croyez-vous que les rousses croisées broutant en liberté aient tenté de nous emboîter le pas ? Que nenni ! Quelques duos nous ont dépassés, mais on en a dépassés autant, et on progresse parfois avec d’autres. Même si la place est purement anecdotique. Puis à quoi bon aussi se tuer à l’effort, dans des décors dont la remarquable beauté est encore accentuée par un florilège de couleurs des dernières lueurs du jour.




On arrive au second ravitaillement au 39e km, plus que 3km! Du moins le pense-t-on en ingurgitant un délicieux bouillon. Un bénévole nous informe qu’il reste 4,5km. Je contacte maman qui nous a désormais laissé sur place avec le train à crémaillère, et nous attend au sommet. A la fois pour l’avertir de notre progression, et lui demander de se renseigner pour savoir si le bénévole se trompe ou dit vrai. Elle nous rétorque 3km. Quand bien même, ceux-ci s’annoncent tout sauf de la tarte, avec encore 300m de D+. Meilleure surprise au ravitaillement, Adèle et 2 membres de sa team nous rejoignent. Le trio affiche un large sourire. Tout va bien pour eux aussi, génial. Adèle s’étonne qu’on soit devant. On a dû la dépasser lors d’un de ses arrêts.
La nuit tombant, on devine l’arrivée à des lumières sur le toit de la montagne. Nous bouillonnons de plus en plus d’impatience de toucher le but. Pas à des années, mais elles ne sont encore qu’un point à bonne hauteur. La bénévole aurait donc dit juste. Lors d’une brève pause, autre belle surprise que de voir Camille et Maxime poindre. Camille a retrouvé un superbe entrain, et comme Adèle un peu plus tôt, fonce à pas soutenus vers La Kleine Scheiddeg.
Plus question désormais d’accalmie de la pente. Un photographe nous renseigne qu’il reste 2 km. Il fait quasi nuit. On n’a pas encore sorti les lampes. Les flancs enneigés de l’Eiger semblent lumière naturelle. Papa enfile malgré tout sa frontale, de peur de se laisser surprendre par les reliefs du chemin. Une manière aussi de nous annoncer à maman, même si bien maline si elle nous identifie parmi les nombreuses lucioles.

On touche au but. Ultime effort, un escalier d’une cinquantaine de marches qui a tout d’un tapis rouge. Prolongé par deux haies de drapeaux du Swissman. En s’engouffrant au beau milieu, on aperçoit en même temps l’arche d’arrivée et maman, drapeau noir jaune rouge dans une main et appareil photo dans l’autre. On sort aussi le drapeau belge. Puis ne voilà-t-il pas que papa se met à courir les derniers mètres ! L’horloge de Kleine Scheiddeg renseigne 22h48 et des poussières. Ma traversée, ou plutôt notre traversée, de la Suisse, et des cantons du Tessin et de Bern par les montagnes depuis la frontière italienne à son centre, aura duré 17h38.
Quelques heures plus tard...
Il ne nous reste plus qu’à redescendre à Grindelwald, pour récupérer la voiture (en train à crémaillère tous les trois cette fois-ci !) Une demi-heure de plongée, durant laquelle je plonge, et papa aussi, dans les bras de Morphée. Et à remonter après une courte nuit à La Kleine Scheiddeg, pour la cérémonie des finishers. Comme tous, je reçois en guise de médaille un t-shirt couleurs suisse, rouge et blanc, et papa, le t-shirt bleu du supporter officiel.
Des sonneurs de cors des Alpes apportent si besoin en était encore une note d’authenticité supplémentaire, lors des 2 photos souvenir (des finishers et des duos) avec pour double toile de fond l’Eiger enneigé et ciel parfaitement bleu.

Merci papa, merci maman, pour ce parfait travail d’équipe qui nous a permis de venir à bout de cette aventure magique!
